14
Caqueteur

 

 

Les cimeterres se retirèrent lentement du cou du porte-crocs.

— Je… ne suis… pas… ce que… je… semble… être, tenta d’expliquer le monstre. Je suis… un… pech.

— Un pech ? demanda Belwar alors qu’il arrivait à côté de Drizzt. (L’apparence du monstre le rendait perplexe.) Tu es un peu trop grand pour en être un.

Le regard de l’elfe allait de l’un à l’autre ; c’était la première fois qu’il entendait ce nom.

— Ce sont des enfants de la roche, lui expliqua le gnome. De bien étranges petites créatures. Dures comme de la pierre et n’ayant pas d’autre raison de vivre que de la travailler.

— Un peu comme les svirfnebelins, dit le drow.

Ne sachant pas s’il venait d’être complimenté ou insulté, le maître-terrassier poursuivit son exposé avec circonspection.

— Ils sont peu nombreux et, surtout, ils ne ressemblent pas à ça.

Belwar dévisagea le monstre avec méfiance puis adressa à Drizzt un regard qui lui disait de rester sur ses gardes.

— Je… ne… su… suis plus… un pech, balbutia le porte-crocs, la voix chargée de regrets.

— Quel est ton nom ? lui demanda Drizzt en espérant que la réponse de la créature l’aiderait à percer ce mystère.

Le monstre réfléchit un long moment puis secoua la tête, désemparé.

— Je… ne… su… suis plus… un pech, répéta-t-il.

Il rejeta sa tête en arrière, invitant l’elfe à lui porter le coup fatal.

— Tu ne te souviens pas de ton nom ? insista l’elfe, peu pressé de lui ôter la vie.

La créature ne répondit pas et resta immobile. Le drow sollicita du regard l’aide du maître-terrassier, mais celui-ci haussa les épaules, impuissant.

— Que s’est-il passé ? demanda Drizzt d’une voix pressante. Tu dois me dire ce qui t’est arrivé.

— So… so… (Le porte-crocs tentait désespérément de répondre.) So… sorcier. Un sorcier ma… lé… fique.

L’elfe savait qu’il existait des magiciens peu scrupuleux, et il commençait à croire cette étrange créature.

— C’est un sorcier qui t’a transformé ? (Drizzt et Belwar se regardèrent, stupéfaits.) J’ai déjà entendu parler de tels prodiges.

— Moi aussi, renchérit le gnome. Magga cammara, elfe noir, j’ai vu les sorciers de Blingdenpierre utiliser des sorts similaires pour infiltrer…

Il s’arrêta soudain, se rappelant à qui il s’adressait.

— … Menzoberranzan, finit le drow dans un gloussement.

Un peu embarrassé, le maître-terrassier s’éclaircit la voix et se tourna vers le monstre.

— Ainsi donc, tu étais un pech puis un sorcier t’a transformé en porte-crocs.

— C’est exact, je ne suis plus un p… pech.

— Où sont tes semblables ? Si ce que j’ai entendu sur ton peuple est vrai, vous voyagez généralement en groupe.

— M… m… m… morts, tués par le sor… sor…

— Un sorcier humain ? l’interrompit l’elfe.

— Oui, hu… humain.

— Et ce sorcier t’a abandonné à ton triste sort, conclut le svirfnebelin.

Drizzt et Belwar se regardèrent longuement, puis l’elfe fit un pas de côté pour permettre à la créature de se relever.

— J’au… j’aurais tellement… préféré que vous me… tu… tuiez, dit alors le monstre en s’asseyant.

Il regarda les serres qui lui servaient de mains d’un air de dégoût.

— La pi… pierre… perdue pour moi.

Belwar leva ses bras de mithral en guise de réponse.

— C’est ce que je croyais aussi, dit-il. Tu es vivant et tu n’es plus seul. Viens avec nous au lac, nous pourrons continuer à parler.

La créature accepta. Elle eut beaucoup de mal à soulever sa grande carcasse. Profitant des bruits que faisait l’exosquelette en raclant la paroi, le gnome chuchota à l’oreille de Drizzt.

— Tiens-toi quand même prêt, on ne sait jamais.

Devant l’imposante stature de la créature qui avait fini par se relever, le drow acquiesça.

Pendant des heures, le monstre raconta ses aventures extraordinaires aux deux amis. Au fur et à mesure qu’il parlait, sa maîtrise du langage s’améliorait de manière stupéfiante. En outre, la description qu’il fit de son existence précédente – une vie passée à tailler la pierre avec une ferveur presque religieuse – acheva de convaincre les deux compagnons de la véracité de ses dires.

— Cela fait du b… bien de parler de nouveau, même dans une langue qui n’est pas la mienne, dit la créature au bout d’un moment. J’ai l’impression d’avoir ré… ré… récupéré une partie de moi-même.

Drizzt, qui avait vécu des expériences similaires, comprenait parfaitement ce sentiment.

— Depuis combien de temps es-tu dans cet état ? demanda Belwar.

Le porte-crocs haussa les épaules.

— Quelques jours, plusieurs mois. Je ne m’en souviens plus. J’ai p… perdu la notion du temps.

Drizzt enfouit son visage dans ses mains et laissa échapper un long soupir ; il partageait la détresse de l’infortunée créature. Lui aussi s’était senti seul et abandonné dans l’Outreterre ; lui aussi avait connu les affres d’un tel sort. Le gnome tapota l’épaule du drow de sa main-marteau.

— Où allais-tu ? Ou plutôt d’où venais-tu ? demanda le maître-terrassier au porte-crocs.

— Je suis à la poursuite du so… so…, répondit-il. (Il buta sur ce dernier mot, comme si la seule évocation de cet être malfaisant suffisait à le faire souffrir.) Mais j’ai p… perdu tant de choses. Je le trouverais fa… facilement si j’étais encore un p… p… pech. Les pierres me diraient où ch… chercher. Mais je ne peux plus leur parler aussi souvent… (La créature se leva.) Je dois partir. Je vous mets en danger.

— Tu restes avec nous, dit Drizzt sur un ton qui n’autorisait aucune contestation.

— Mais je ne peux pas me con… contrôler, essaya d’expliquer le porte-crocs.

— Tu n’as pas à t’inquiéter, intervint Belwar. (Il montra l’entrée de leur grotte dans la paroi.) Notre antre est là-haut et la porte est trop petite pour toi. Repose-toi près du lac, nous devons décider de ce que nous allons faire.

Le porte-crocs, qui était épuisé, trouva les propos du svirfnebelin sensés. Il se laissa aller de tout son poids contre la paroi, et se pelotonna aussi confortablement que le lui permettait sa carcasse. Les deux amis s’éloignèrent, se retournant à chaque pas pour regarder leur étrange compagnon.

— Caqueteur, dit soudainement Belwar en arrêtant Drizzt.

Faisant un grand effort, le porte-crocs roula sur lui-même pour regarder le gnome des profondeurs, car il avait compris qu’il parlait de lui.

— Nous t’appellerons ainsi, si tu n’y vois pas d’objection, expliqua le gnome à la créature ainsi qu’à Drizzt. Caqueteur !

— Ça lui va comme un gant, renchérit l’elfe.

— C’est un b… bon nom, approuva le porte-crocs.

Mais il aurait préféré se souvenir de son nom de pech, ce nom qui sonnait comme un rocher dévalant une pente et dont chaque syllabe était une ode à la pierre.

— Nous allons devoir élargir l’entrée, dit Drizzt à son ami quand ils pénétrèrent dans leur grotte. Ainsi, Caqueteur pourra s’y réfugier avec nous et y être en sécurité.

— Non, elfe noir, nous n’en ferons rien, contesta le gnome.

— Il n’est pas en sécurité sur les rives du lac. Des monstres pourraient le trouver.

— Il est suffisamment en sécurité ! grommela Belwar. Quel monstre serait assez fou pour s’en prendre à un porte-crocs ?

Le gnome comprenait les inquiétudes de Drizzt, mais il pensait aussi à ce que sa suggestion avait de dangereux.

— J’ai déjà été témoin de tels sorts, dit sombrement le svirfnebelin. Ils sont dits polymorphes. La transformation du corps s’opère rapidement, mais celle de l’esprit peut prendre plus de temps.

— De quoi parles-tu ? demanda l’elfe dont la voix trahissait l’angoisse.

— Pour l’instant, Caqueteur est encore un pech emprisonné dans un corps de porte-crocs. Mais bientôt il ne sera plus qu’un porte-crocs de corps et d’esprit. Nous aurons beau le traiter en ami, lui ne nous verra plus que comme de la nourriture.

L’elfe voulut discuter mais Belwar le fit taire d’une seule question.

— Aimerais-tu avoir à le tuer, elfe noir ?

Drizzt se détourna.

— Son histoire ressemble à la mienne.

— Pas autant que tu le penses.

— Je me suis perdu, moi aussi.

— C’est ce que tu crois. Mais ce que tu es profondément a toujours été là, mon ami. Ce sont les circonstances qui ont fait de toi un chasseur. Pour Caqueteur, c’est différent ; bientôt il sera un porte-crocs, corps et âme, et, magga cammara, il ne t’épargnera pas comme tu l’as épargné, si tu te retrouves à sa merci.

Drizzt n’était pas convaincu, bien qu’il ne trouve rien à redire à l’implacable logique de son ami. Il se dirigea vers la cavité la plus à gauche – celle qu’il avait choisie en guise de chambre – et se laissa tomber dans son hamac.

— Hélas pour toi, Drizzt Do’Urden, marmonna Belwar en voyant l’elfe accablé. Et hélas pour notre ami déjà condamné.

Le maître-terrassier se rendit dans sa chambre et grimpa dans son hamac. Même si la situation lui pesait, il était déterminé à garder la tête froide et à se montrer pragmatique, car il sentait que l’empathie de Drizzt pour Caqueteur pourrait se révéler fatale.

Plus tard dans la nuit, c’est un Drizzt excité qui réveilla le svirfnebelin.

— Nous devons l’aider.

Belwar passa un bras sur son visage. Il avait eu un sommeil agité à cause d’un rêve qui lui avait fait crier « Bivrip ! » à haute voix alors qu’il tentait d’en finir avec son nouveau compagnon.

— Nous devons l’aider ! répéta l’elfe avec insistance.

À son aspect hagard, Belwar conclut qu’il n’avait pas dû dormir de la nuit.

— Je ne suis pas un sorcier, grommela le gnome. Et toi non…

— Nous en trouverons un. Nous trouverons celui qui a transformé Caqueteur et nous l’obligerons à lever l’enchantement ! Nous l’avons vu près du ruisseau il y a quelques jours. Il ne doit pas être bien loin !

— Un mage doté de tels pouvoirs ne sera pas facile à vaincre. As-tu oublié la boule de feu ? (Il jeta un coup d’œil rapide à sa veste roussie.) J’ai bien peur que nous ne puissions rien contre lui.

L’elfe sentit comme un manque de conviction dans les dernières paroles du gnome.

— Abandonnerais-tu Caqueteur si rapidement à son sort ? demanda franchement Drizzt à Belwar. (Il afficha un large sourire en voyant fléchir la détermination de son ami.) Est-ce là le même Belwar Dissengulp qui a pris sous son aile un drow abandonné ? Ce très vénérable maître-terrassier qui est resté aux côtés d’un elfe noir que tout le monde croyait dangereux et définitivement perdu ?

— Va dormir, répondit Belwar en le repoussant de sa main-marteau.

— C’est un sage conseil, mon ami. Fais-en de même car une longue route nous attend demain.

— Magga cammara, souffla le svirfnebelin en tentant de garder son air renfrogné.

Il se retourna dans son hamac et ne tarda pas à ronfler.

 

 

Caqueteur frappait la paroi avec ses serres sans relâche.

— Pas encore ! chuchota Belwar à Drizzt d’une voix agitée. Pas ici !

L’elfe se hâta le long du tunnel, guidé par le son monotone.

— Caqueteur ! appela-t-il doucement quand le porte-crocs fut en vue.

Celui-ci se tourna vers le drow, ses serres prêtes à frapper, et émit un sifflement menaçant. Il s’arrêta brusquement quand il se rendit compte de ce qu’il était en train de faire.

— Pourquoi continues-tu à frapper ? lui demanda le drow en feignant de ne pas avoir vu son attitude belliqueuse. Nous sommes dans l’Outreterre. De tels bruits pourraient nous attirer des ennuis.

La tête du monstre s’affaissa.

— Vous n’auriez pas dû venir avec m… moi. Je ne pe… peu… Il y a trop de ch… chose que je n’arrive pas à con… contrôler.

L’elfe s’approcha et posa une main réconfortante sur le bras de Caqueteur.

— C’est ma faute. (Il avait compris que le porte-crocs venait de s’excuser.) Nous n’aurions pas dû aller dans des directions opposées et j’ai eu tort de me rapprocher aussi rapidement sans m’annoncer. Nous allons rester ensemble à partir de maintenant, même si cela veut dire que nos recherches prendront plus de temps. Belwar et moi, nous t’aiderons à garder le contrôle.

Le visage de Caqueteur s’illumina.

— Cela fait tellement de b… bien de fr… fr… frapper la pierre.

Il cogna la paroi d’une de ses serres comme pour raviver ses souvenirs. Il resta perdu dans ses pensées quelques instants, se rappelant sa vie de pech et ces jours passés à marteler la pierre, à la modeler, à lui parler.

— Tu redeviendras un pech, lui promit Drizzt.

Belwar, qui les avait rejoints entre-temps, n’en était pas aussi sûr. Cela faisait plus d’une semaine maintenant qu’ils arpentaient les tunnels, et ils n’avaient pas encore trouvé la moindre trace du sorcier. Le maître-terrassier constatait que Caqueteur semblait mieux contrôler sa part monstrueuse et cela le rassurait. Drizzt, qui avait connu un cheminement semblable, n’était-il pas devenu son meilleur ami ?

Mais il veillait à garder ses distances vis-à-vis du pech. Sa transformation en porte-crocs était l’œuvre d’une magie puissante et l’amitié ne suffirait pas à briser ce sort. Leur rencontre n’offrait qu’un court répit à Caqueteur. Son destin était déjà écrit.

Ils continuèrent leurs recherches dans les tunnels pendant quelques jours, sans plus de chance. La personnalité de Caqueteur ne s’était pas détériorée mais Drizzt, qui avait quitté le lac rempli d’espoir, sentait le poids de la réalité le rattraper.

Alors qu’ils envisageaient de retourner dans leur grotte, ils entrèrent dans une caverne de taille respectable dont le sol était jonché des décombres du plafond récemment effondré.

— Il était ici ! cria Caqueteur en se saisissant d’un énorme rocher qu’il envoya se fracasser contre la paroi. Il était ici ! hurla-t-il en continuant à jeter des pierres dans une explosion de rage.

— Comment le sais-tu ? demanda Belwar pour tenter d’atténuer la colère de son ami.

Il montra le plafond.

— C’est son… œuvre. C’est le so… so… qui a fait ça !

Drizzt et le gnome échangèrent des regards inquiets. Le plafond de la grotte qui, à l’origine, avait une hauteur de quatre mètres cinquante environ, était dévasté en son centre par un trou gigantesque qui mesurait le double. La magie qui avait causé de tels dégâts était indéniablement très puissante.

— C’est le sorcier qui a fait ça ? demanda Belwar, incrédule.

— Sa t… t… tour, répondit Caqueteur.

Il scrutait la grotte dans ses moindres recoins pour essayer de trouver le chemin que le sorcier avait emprunté pour sortir. Quand il s’arrêta, il s’aperçut que ses deux compagnons étaient plongés dans la plus grande confusion.

— Le so… so… so…

— Le sorcier, l’interrompit le gnome, impatient.

Le pech ne lui en tint pas rigueur ; il appréciait même plutôt son aide.

— Le so… sorcier a une tour. Une gr… grande t… tour de fer qu’il emmène avec lui, l’installant à sa c… convenance. (Il regarda le trou au plafond.) Même quand il n’y a pas de place.

— Il porte une tour ? l’interrogea le svirfnebelin.

Caqueteur ne lui répondit pas, car il venait de trouver une empreinte de botte dans un lit de mousse qui semblait se diriger vers un autre tunnel.

Drizzt et Belwar durent se satisfaire de l’explication partielle de leur ami et se remirent en chasse. L’elfe prit la tête de l’expédition, son entraînement à l’Académie et ses années passées dans l’Outreterre le désignant de fait pour ce rôle ; le gnome, grâce à sa compréhension innée de l’Outreterre et à sa broche magique, gardait en mémoire leur itinéraire ; Caqueteur, faisant appel à son côté pech, demandait aux pierres de les guider lui et ses amis. Ils traversèrent une nouvelle grotte dévastée, puis une autre encore qui portait les stigmates du passage du sorcier.

Quelques jours plus tard, les trois compagnons débouchèrent sur une grotte immense ; au loin, près d’un ruisseau, se dessinait la tour. Elle faisait près de neuf mètres de haut et six mètres de large. S’étant approchés prudemment, ils s’étaient rendu compte que ses murs lisses étaient en adamantium – le métal le plus résistant au monde – ce qui contrariait sévèrement leurs plans.

Ils finirent par repérer une petite porte qui se fondait parfaitement dans le mur. Ils se doutaient bien que l’ouvrir ne serait pas chose facile.

— Le so… so… Il est à l’intérieur, grogna Caqueteur, raclant ses serres contre la porte, désespéré.

— Il devra bien sortir à un moment ou à un autre, raisonna Drizzt. Quand ce sera le cas, nous serons là pour l’accueillir.

Cela ne satisfaisait pas le pech. Dans un rugissement qui résonna dans toute l’Outreterre, il fonça sur la porte pour essayer de l’enfoncer. Bien qu’elle n’ait pas bougé d’un pouce, Caqueteur essaya de nouveau. Il était évident pour Belwar et Drizzt que l’épaule du pech céderait la première.

Le drow tenta, en vain, de calmer le géant. De son côté, le svirfnebelin s’était rapproché de la paroi et entonna un chant familier.

Alors que Caqueteur s’effondrait en pleurant d’épuisement, de colère et d’impuissance, Belwar entra en scène.

— Écartez-vous ! Je n’ai pas fait tout ce chemin pour être stoppé par une simple porte !

Il fonça droit sur la porte et la frappa de toutes ses forces avec sa main-marteau magique. Des étincelles bleuâtres jaillissaient dans toutes les directions à chacun de ses coups. Il frappait sans relâche mais, quand toute son énergie fut épuisée, la porte de la tour n’avait que quelques égratignures et des brûlures superficielles.

Belwar frappa ses mains l’une contre l’autre de dépit et ressentit la même frustration que le pech. Drizzt restait concentré, car désormais le sorcier devait être au courant de leur présence. Il s’approcha avec précaution d’une des nombreuses meurtrières qui parsemaient la structure. Il entendit un chant étouffé et, même s’il n’en comprenait pas les paroles, il se doutait bien de ce que le sorcier manigançait.

— Courez ! hurla-t-il à ses camarades.

Il saisit une pierre et la lança dans l’ouverture.

Par chance, le sorcier jeta son sort juste au moment où la pierre atteignait son but. Un éclair ricocha sur celle-ci, la désintégrant au passage et envoyant du même coup valdinguer l’elfe, avant de revenir à son point de départ.

— Tamnation ! Tamnation ! Je déteste quand zela se passe ainzi, tonna une voix à l’intérieur de la tour.

Belwar et Caqueteur se précipitèrent vers leur ami, mais l’elfe était seulement étourdi et, quand ils le rejoignirent, il était déjà debout.

— Oh, fous allez payer chèrement pour ce que fous venez de faire !

— Fuyons ! cria le maître-terrassier, le porte-crocs sur ses talons.

Il regarda le drow et lut dans ses yeux que celui-ci ne fuirait pas. Caqueteur rejoignit à son tour Drizzt Do’Urden.

— Magga cammara, elfe noir, nous ne pouvons pas entrer ! rappela Belwar.

— C’est ce que nous allons voir.

Il tira la figurine d’onyx de sa poche, la plaqua contre la meurtrière, et appela Guenhwyvar. La brume noire s’engouffra dans la tour.

— Je fais tous fous duez ! hurla le sorcier.

Un feulement de panthère se fit entendre.

— Ouvrez la porte, ou vous le paierez de votre vie, sorcier ! cria Drizzt.

— Jamais !

Guenhwyvar rugit de nouveau, puis le sorcier hurla et la porte s’ouvrit brutalement.

L’elfe entra le premier, suivi de ses compagnons. Ils se retrouvèrent dans une pièce circulaire, au rez-de-chaussée de la tour. Une échelle métallique se dressait en son centre et conduisait à une trappe, par laquelle le sorcier avait tenté de s’échapper. Il n’y était toutefois pas parvenu et se retrouvait à présent la tête en bas, une jambe coincée entre deux barreaux et l’autre prise jusqu’au mollet dans la gueule de la panthère. Guenhwyvar était magnifique et semblait avoir totalement récupéré de son petit séjour dans l’acide.

— Endrez ! cria le sorcier en ouvrant grand les bras avant de les rabattre aussitôt pour empêcher sa robe de lui retomber sur le visage. (Celle-ci était en lambeaux et fumait encore aux endroits où l’éclair l’avait touchée.) Je suis Brister Fendlestick. Bienfenue dans mon humble temeure !

Belwar retenait Caqueteur à la porte à l’aide de sa main-marteau pendant que l’elfe se dirigeait vers le prisonnier. Drizzt contempla un long moment sa féline compagne, car il ne l’avait pas revue depuis le jour où il l’avait renvoyée pour qu’elle se remette de ses blessures.

— Ainsi tu parles le drow, dit-il au sorcier en l’attrapant par le col pour le remettre sur ses pieds.

Il l’observait avec beaucoup d’attention ; c’était la première fois qu’il voyait un humain de près. Il ne le trouvait pas très impressionnant.

— Je connais beaucoup de langues différentes, répondit le sorcier en s’époussetant. (Il ajouta, comme si cela était important :) Je suis Brister Fendlestick !

— Connais-tu le pech ? grogna Belwar depuis la porte.

— Le pech ? demanda l’humain d’une voix empreinte de dédain.

— Oui, le pech, gronda le drow, menaçant le sorcier de son cimeterre placé à quelques millimètres de sa gorge.

Caqueteur fit un pas en avant, écartant facilement le svirfnebelin qui tentait de le retenir.

— Les pechs, cracha le sorcier. Zes betites choses inutiles, touchours dans nos pattes !

Caqueteur s’avança encore.

— Finissons-en, elfe noir, supplia le gnome qui tentait en vain de stopper la progression du porte-crocs.

— Rends-lui son identité. Retransforme-le en pech. Et en vitesse !

— Bah ! renifla le sorcier. Il est mieux maindenant ! Qui foudrait être un pech ?

Caqueteur souffla bruyamment et se rapprocha encore, projetant Belwar sur le côté.

— Tout de suite, Sorcier ! gronda Drizzt.

Perchée sur l’échelle, la panthère poussa un long grognement affamé.

— Pien ! Pien ! Misérable pech !

Le sorcier sortit un grimoire d’une poche trop petite pour le contenir. Drizzt et Belwar échangèrent un sourire, pensant que la victoire était proche. Mais c’est alors que le sorcier fit une erreur fatale.

— J’aurais tû le tuer comme j’ai tué les audres, marmonna-t-il si bas que même Drizzt, pourtant près de lui, ne l’entendit pas.

Mais les porte-crocs avaient l’ouïe la plus fine de toute l’Outreterre.

D’un geste violent, Caqueteur projeta le gnome, qui était revenu près de lui, à l’autre bout de la pièce. Pris par son élan, il renversa Drizzt, faisant tournoyer ses cimeterres dans les airs. Le sorcier tenta de se protéger derrière l’échelle d’acier mais celle-ci plia sous la violence du coup porté par le géant, et Guenhwyvar fut violemment délogée de son perchoir.

La question de savoir si le sorcier était mort sur le coup n’avait plus d’importance lorsque Drizzt et Belwar reprirent leurs esprits. Les serres et le bec du porte-crocs lacéraient sans relâche le corps du sorcier. Un bref éclair apparaissait chaque fois qu’un des nombreux objets magiques qu’il avait sur lui était réduit en miettes.

Quand la colère du porte-crocs fut épuisée, le sorcier n’était plus qu’une masse de chair sanguinolente gisant sur le sol. Belwar s’apprêtait à faire remarquer que le sorcier avait accepté de retransformer Caqueteur, mais il s’abstint. Le porte-crocs tomba à genoux ; il n’arrivait pas à croire ce qu’il venait de faire.

— Partons, dit Drizzt en rengainant ses armes.

— Fouillons d’abord la tour, suggéra le gnome, pensant que de merveilleux trésors pouvaient être cachés à l’intérieur.

Mais l’elfe ne pouvait rester un instant de plus. Il s’était trop reconnu dans la rage aveugle de son compagnon, et l’odeur du sang l’emplissait de colère et de peurs qui lui étaient intolérables. Il sortit de la tour suivi de Guenhwyvar.

Le maître-terrassier aida le porte-crocs à se relever et guida le géant tremblant hors de la structure. Toujours aussi rationnel, il fit attendre ses amis pour fouiller la tour, à la recherche d’objets susceptibles de leur être utiles ou de la formule qui lui permettrait de transporter la haute structure de métal. Mais soit le sorcier était pauvre – ce dont Belwar doutait –, soit il avait parfaitement caché ses trésors, car le svirfnebelin ne trouva rien d’intéressant. Le magicien avait emporté tous ses secrets dans la mort.

Le chemin du retour fut silencieux ; chacun était perdu dans ses pensées. Drizzt et Belwar partageaient la même crainte : les agissements de Caqueteur n’étaient plus ceux d’un pech mais bel et bien ceux du porte-crocs qu’il était en train de devenir.

Terre d'Exil
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